
Les Indes Fourbes
Scénario : Alain Ayroles
Dessin : Juanjo Guarnido
Couleurs : Juanjo Guarnido, Jean Bastide et Hermine Janicot-Tixier
Edition : Delcourt
Collection Hors Collection
Genre : picaresque en cinémascope
Date de parution : 28/08/2019
Synopsis : De l'ancien au Nouveau Monde, la fabuleuse épopée d'un vaurien en quête de fortune…
Comment faire de la vraie littérature en bande dessinée sans passer obligatoirement par le "roman graphique" de 300 pages avec un dessin minimaliste comme c'est souvent le cas ?
Ayroles et Guarnido ont réussi cet exploit avec ce qui est sûrement le premier poids lourd de la rentrée BD. Comme on pouvait s'y attendre de la collaboration entre un prosateur usant d'une verve et d'une aisance qui n'est plus à démontrer depuis De Cape et de Crocs et de l'un des dessinateurs les plus célébrés de la BD contemporaine, Les Indes Fourbes est une fresque grandiose et imposante (déjà par son format 25X34 cm et ses 160 pages) qui tire son inspiration du roman picaresque, ce genre littéraire né en Espagne au XVIiè siècle qui a notamment donné le chef-d'oeuvre de Jean Potocki Manuscrit trouvé à Saragosse. Foisonnant et dynamique, truculent et aventureux, gorgé de situations extravagantes et de personnages - généralement de basse extraction et passablement roublards - hauts en couleur, ce genre tombé en désuétude flamboie de tous ses feux sous la plume non mouchetée d'Ayroles et la technique sans faille d'un Guarnido qui abandonne ici ses habituels animaux anthropomorphisés de Blacksad pour dessiner de vraies "gueules" humaines bien expressives.
On le sait : j'apprécie peu Blacksad et j'ai toujours considéré que les scénarios de Canalez, très "carrés" et peu susceptibles de fantaisie, ne rendaient pas vraiment justice à un dessinateur brillant mais trop cantonné dans les codes rigides du polar "hard-boiled".
C'est donc avec enthousiasme que je le vois ici se lâcher enfin en proposant un travail plus expressif, énergique et des environnements très variés - fort éloignés des décors urbains de Blacksad - où l'on passe de paysages naturels grandioses sud-américains aux intérieurs plus mondains, de tavernes interlopes à des champs de batailles fourmillant de détails.
Bref, le résultat graphique est le reflet parfait d'un scénario fouillé, plus morcelé que linéaire avec ses nombreux flash-backs, et ménageant de nombreux rebondissements et retournements de situations. Picaresque vous dis-je... quel autre terme employer ?
Fabuleux coquin né avec un poil dans la main mais de la ressource à revendre en matière de coups tordus et pendables autant qu'un sens inné pour se sortir de toutes les situations les plus épineuses, à l'aise dans toutes les couches de la société pour peu qu'il y trouve son profit, le personnage central, Pablos de Ségovie attire vite la sympathie par sa délicieuse immoralité et sa débrouillardise ainsi que - n'oublions pas que nous sommes dans un scénario d'Ayroles ! - une bonne dose d'éloquence et de maniement des mots dans le genre "ni vu ni connu j't'embrouille". Il rejoint ainsi la galerie des Sganarelle, Scapin, Jacques le Fataliste et autres figures bien connues de la littérature.
On pourra peut-être regretter l'absence de poésie que l'on pouvait trouver dans De Cape et de Crocs mais n'oublions pas que, si les histoires non moins mouvementées de Don Lope et Armand de Maupertuis (et Eusèbe) mettaient en valeur les vertus chevaleresques de courage et d'intégrité, Les Indes Fourbes - titre qui dit déjà tout - célèbrent les vertus (ou vices, comme on voudra) exactement inverses. La noblesse de coeur n'a pas sa place dans un monde où la survie se gagne à l'amplitude de la rouerie.
De même, l'album épouse aussi les limites de son genre, où les péripéties s'accumulant et la gouaille omniprésente empêche sans doute une réelle profondeur.
Mais nous ne sommes pas dans un drame psychologique et l'album est à l'image de son remuant (anti)héros qui n'est pas du genre à s'appesantir ou à jouer au penseur de Rodin.
Ma Note:
