-
Bonjour,Tout d'abord au nom de 1001bd, je te remercie de bien avoir voulu accepter notre proposition d'interview écrite.C'est un plaisir encore plus grand d'interviewer en plus un voisin heraultais 🙂Tout d'abord parlons un peu de Zoe Carrington : tu clôtures ce diptyque avec une fin au rythme effréné. N'as-tu pas eu envie de faire durer un petit peu plus le plaisir sur un format en 3 tomes ?Le projet était en deux tomes dès le début, j’aime bien ce rythme. Ça permet de rester avec les personnages sur la durée, et ça permet de repartir sur un projet nouveau assez rapidement.
Il y a une histoire de sonorité, ce que ça résonne en moi… Au départ je pensais à une chanson de Voulzy, mais le nom me plaisait finalement moins. Vous savez, on teste des noms, des pistes, et à un moment il y en a un qui nous reste dans la tête, sans que ce soit réellement pensé, c’est plutôt une écoute de l’intuitif.En fin d'album, tu nous confies avoir finalement changé de titre pour ce diptyque pour finalement opter pour le nom du personnage principal, mais est-ce qu'il y a une histoire derrière ce nom de Zoé Carrington ?La post-face permet de mieux se rendre compte du cheminement du scénario, est-ce un choix délibéré que de mettre en avant des héroïnes en apparences fortes ?C’est là aussi totalement intuitif. Je réalise surtout que se dessine au fil des ans, par contraste, des caractères d’hommes qui suivent, qui sont en retrait, ou qui courent constamment après. Donc oui, dans la balance, les femmes sont constamment plus fortes et mènent le récit.
En fait c’est ni l’un ni l’autre, mais je trouve intéressant d’arriver dans une histoire, et que les personnages aient un vécu. J’avais trois histoires totalement différentes, mais avec un point commun : une figure du passé réapparait. Le jeu, le petit défi à l’écriture, était de ne jamais traiter les choses de la même façon 🙂Zoe Carrington clôture ce que l'on pourrait appeler la "Trilogie des Ex" ou tu revisites à chaque fois les thèmes du passage à l'âge adulte, des étapes clefs de la vie et surtout de l'amour de jeunesse mythique.Est-ce un fantasme d'auteur ou le retour sur une expérience personnelle ?
J’adore les histoires d’amour. Il y a des gens pour qui c’est l’axe central d’une vie, et d’autres pour qui c’est le "moi" l'important. Je crois que je fais partie de la première catégorie, je trouve scénaristiquement aussi totalement passionnant d’avoir une base aussi simple : deux personnes aimantées l’une vers l’autre (j’aurais pu écrire « amantés »), mais pouvoir depuis tant de décennies écrire à ce sujet. Ça touche à tellement d’aspect de la vie, à l’attachement, l’irraisonnabilité, la passion, la trahison, le mensonge, la question de la durabilité et la finitude...Zoe Carrington, Helena, une nuit à Rome ou encore l'étreinte ou l'érection..... et au milieu "detox".Était-ce un besoin de detox des histoires d'amour ?Le soupçon d'érotisme dans tes œuvres est apprécié de tes lecteurs, dont nous, mais qu'est-ce qui te motive à l'intégrer aussi pleinement ?Le jeu du dessin, simplement. Le plaisir de dessiner les corps. C’est très archaïque comme plaisir, et sans doute un peu obsolète… mais je me dis que depuis tellement de siècles, les dessinateurs s’y aventurent...
Oh il y en a plein, et oui j’aimerais beaucoup. En fait, il y a une partie immergée de l’iceberg que les gens ne connaissent pas : tous les scénarios endormis, les collaborations espérées, les essais de planches sur des projets, avant de réaliser que ça ne fonctionne pas… Il pourrait exister un album entier fait de débuts de récits, qui n’ont pas eu d’avenir. Je ne suis pas certain que ce soit très passionnant au final, tant il existe de vraies raisons qui font qu’un projet ne se fait pas, et c’est souvent qu’un équilibre esthétique n’a pas été trouvé...Tu es un auteur complet et plus que reconnu, envisages-tu de nouveau des collaborations avec d'autres dessinateurs ou scénaristes ? Des gens avec qui tu aurais envie de bosser ?
je pense que quand je faisais des récits fantastiques, c’est le cinéma fantastique qui me faisait rêver. Le cinéma ne pouvait pas encore tout représenter, et chaque prouesse nouvelle ouvrait grande une boite à rêve dans notre tête. Et puis, la bande dessinée permettait de donner à voir des choses qu’on ne pouvait voir au cinéma. Maintenant, c’est acté, on peut tout voir. Donc le support BD a un peu moins de sens peut être sur ces histoires là, et surtout à titre personnel, pour un Interstellar et un Premier Contact épatants, le niveau des films fantastiques ne m’emballe plus. Donc la boite à rêve s’est refermée de mon côté, alors que - et c’est curieux, j’en conviens - aller chercher l’extraordinaire dans les relations entre les gens me passionne de plus en plus.En parlant d'histoire d'amour.... as-tu jamais eu envie de faire de la SF ou de la fantasy ? Ne te sens-tu pas "prisonnier" de ce genre ? Peut-être faire de la Fantasy ou de la science-fiction en écrivant à nouveau sous le pseudonyme de Téhy ?Chez 1001bd on a une grande tendresse pour ton "Petites éclipses", est-ce que tu confirmes notre impression de lecteur qu'il y a beaucoup de vécu personnel dans cet ouvrage ?Oui, on a joué à aller fouiller dans nos histoires, ‘Fane et moi. J’aime beaucoup ce livre aussi, lié aussi à une période particulière, et la rencontre de deux auteurs, qui s’amusaient en se découvrant l’un et l’autre. On avait délibérément fait l’album sans contrat, pour retrouver une passion de débutant. l’important était de faire, de raconter, sans penser à être deux professionnels qui faisaient de la BD.
Le cinéma, d’abord, qui occupe une grande part de mon cerveau disponible, avec un nouveau projet en cours. Qu’on adapte en BD avec Rémi Torregrossa actuellement, en mêlant nos deux dessins. Le titre ? Insolente. Un grand album de 300 pages au moins à nouveau avec Laurent Bonneau, avec qui je retrouve un peu de cette aventure totalement artistique, plus folle. Déjà 180 pages faites, et rien de signé avec un éditeur. Là aussi, un besoin de liberté, de ne pas se mettre de délai, d’avancer au fil du récit.Qu'est-il arrivé à Téhy justement ?Il a été absorbé… Ah ah !
Tu peux nous en dire plus sur tes nouveaux projets ? Tes envies ?Fin d’année, sortiront un album aux éditions Anspach que j’écris et dessine, sur l’approche des 60 ans. Un album d’humour, un régal à faire. Sur un de mes plus grands dangers qui approche à l’horizon. Et aux éditions Lombard, « Un noël à Paris », avec Giuseppe Lotti aux dessins. Une vraie comédie de noël, mais non pas en film, en BD. Nous sommes déjà sur le tome 2 !Beaucoup de projets, dont un qui se dessine uniquement dans ma tête, sur la vieillesse de nos parents à tous. Et que j’espère attaquer dans quelques mois. Le genre de projets qui nous hante, on tourne autour sans trop oser s’en approcher. On repousse un peu le moment de s’y mettre. Il va falloir aller fouiller un peu plus profond que d’habitude. Ce n’est pas le plus simple à faire…
J’aime sa liberté,sa diversité, son côté laboratoire, le fait que concrètement tout soit possible. Un ou deux auteurs, un éditeur, et c’est parti. Le cinéma multiplie les intervenants, les sources de financement, c’est une machine à compliquer les choses. C’est magique, et rien n’est plus incroyable que le silence d’une salle happée par un film, par une émotion, ou le bruit des rires qui envahit un public, pile là où on a espéré qu’il rirait 4 ans auparavant. Magique, réellement !Quel regard jettes-tu sur le monde de la bd en ce moment avec toute ton expérience ?
"Il s’appelait Jérôme" de Christian Godard, et avant « Karabouilla" du Docteur Poche, par Marc Wasterlain. Une BD, ce simple objet, ces dessins fixes, sans son, sans mouvement, sans musique… pouvait nous attraper le coeur et nous le serrer. C’était un sentiment incroyable.En parlant de nostalgie, on a tous ici des bd qui ont marqué notre jeunesse, c'est lesquelles pour toi ?Et je crois que depuis, je cours après ce sentiment, avec l’envie de le faire vivre aux lecteurs, tout simplement. C’est à dire casser la distance entre l’auteur et le lecteur, mais être là à côté de lui, et lui souffler un peu plus qu’une histoire à l’oreille. Des émotions…
Alors c’est un peu le comble du snobisme, ah ah, pardon, mais je réponds à cette interview dans un avion, je pars quelques jours en Belgique dédicacer Zoé Carrington. Si je trouve un moment pour, je m’y attèle et j’enverrai dans un mail suivant. Si j’oublie, merci de ne pas m’en tenir rigueur 🙂 Quelques jours de dédicaces c’est croiser beaucoup de monde par rapport à des journées normales d’auteur BD...Le totem du créateur de 1001bd est un renard, est-ce que tu nous en dessinerais un ?
Merci encore Jim pour cette interview au pieds levé !



