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Interview D'emmanuel Proust


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Emmanuel Proust a bien voulu répondre à quelques menu questions sur ces envies, ces collection et les BD les plus connues du catalogue.

1001bd : Pour l'historique, les éditions Emmanuel Proust éditions sont de jeunes éditions dans le monde de la BD. 6 ans d'existence c'est peu et pour autant l'impression générale est que vous sortez du lots part des BD de qualités.

- C'est vrai, six ans c'est peu, d'autant que ça passe trop vite par rapport à tous les projets que j'ai pour cette maison d'édition ! Maintenant, en six années, de nombreuses pistes éditoriales ont été lancées et sont aujourd'hui reprises par toute la profession, ce qui montre que nous étions quelque part dans le vrai. Car on a tendance à l'oublier : dès notre création, j'ai demandé des scénarii originaux aux écrivains, et dans le même temps, je sollicitais des dessinateurs pour réaliser des adaptations d'oeuvres littéraires classiques (Jules verne, Barbey d'Aurevilly, Agatha Christie...) ou internationales (James Ellroy, Tony Hillerman...). Des cinéastes comme Georges Lautner et Robert Guédiguian ont également fait leurs premier pas en bande dessinée. Si on sort du lot, c'est aussi parce que l'on apporte un grand soin à la fabrication de nos albums : tous sont pelliculés en mat, imprimés sur un beau papier, et nous sommes les premiers à avoir généralisé le vernis sélectif sur les couvertures des BD. Vous l'avez compris, ce n'est pas le genre de la maison de niveler par le bas.

1001bd : D'ou est venue l'envie de se lancer dans le monde "fermé" de la BD? Est-ce une volonté éditoriale de la Martinière ou une volonté plus personnelle de certains ?

- Je me suis lancé dans la BD tout simplement par réaction aux politiques des majors. « Le fric pour le fric » n'est pas noble quand on a le pouvoir de décider d'une politique éditoriale. Il y avait certaines dérives à l'époque qui m'énervaient ! Alors que j'étais journaliste et directeur de collection, je suis allé proposer à un éditeur indépendant dont j'admirais le parcours, Hervé de la Martinière, s'il voulait bien créer avec moi une maison d'édition de bande dessinée tout public avec une éthique. Je me répète mais c'est important : pas de nivellement par le bas, pas de clones de ce qui marche, uniquement une envie et une volonté de faire découvrir une nouvelle génération d'auteurs, et de les lancer avec la complicité d'écrivains et de cinéastes qui ont un énorme vécu. Bref, c'était très expérimental.

1001bd : Comment avez vous flashé sur le très bel album qu'est "Auschwitz" ?

- « Flashé » est vraiment le mot approprié ! Pascal Croci venait au salon du livre de Paris proposer son projet sur le camp de concentration. Le hasard faisant bien les choses, je préparais chez Actes Sud une collection de BD, et Pascal avait eu l'idée géniale de montrer « Auschwitz » à des éditeurs de littérature, puisque tous les éditeurs de BD l'avaient refusé ! Sortant tout juste de mes études d'histoire, j'ai eu immédiatement le coup de foudre pour un tel sujet ! Il correspondait exactement à ce que je voulais éditer. On connaît la suite... Actes Sud n'a pas eu le courage à l'époque de lancer une collection de BD, mais comme Croci et moi-même sommes des acharnés, quand je suis devenu directeur de collection aux éditions du Masque, j'ai immédiatement imposé ce projet pour lequel j'ai créé spécialement la collection Atmosphères. Aujourd'hui, Auschwitz en est à sa huitième réimpression, a obtenu le Prix Jeunesse de l'Assemblée Nationale (une première pour une BD !), et est traduit en huit langues, bientôt dix.

1001bd : Emmanuel Proust éditions et Emmanuel Proust éditions Jeunesse font des oeuvres de qualités mais parfois déroutante comme la magnifique trilogie de "Sir Arthur Benton". On a d'ailleurs l'impression que cette série a été LE grand succès qui vous a lancé.

- Pas vraiment, notre catalogue est segmenté en collection, et chacune a trouvé son succès : les séries Agatha Christie ou « AmeriKKKA » sont également très connues du public. Tout à l'heure, on parlait d' « Auschwitz » qui est sans contexte notre titre emblématique - le plus connu - du public, à l'étranger, chez les institutionnels. D'ailleurs je ne pense pas que « Benton » aurait connu le même succès sans « Auschwitz » qui lui a préparé le terrain. En revanche, il est vrai que le scénario de Tarek et le dessin de Perger ont beaucoup plu au réseau spécialisé des libraires de BD alors que jusqu'à présent nos titres les intéressaient peu. Le changement majeur est là. Vous me dites que Emmanuel Proust éditions peut parfois dérouter, vous pouvez pas me faire de plus beau compliment ! Je n'édite pas des albums pop-corns. Si la bande dessinée est avant tout une distraction, elle peut être aussi un formidable moyen pour apprendre des choses tout en se distrayant. Elle peut interpeller le lecteur graphiquement : je pense à l'américain Kent Williams ; elle peut nous interpeller artistiquement : je pense à l'oeuvre poétique et minimaliste de Pome Bernos (« Chronique d'un pigeon parisien »), elle peut évoquer des problèmes majeurs de notre société : « Les 3 Petits cochons », le conte revisité traite d'un problème grave le racisme mais avec humour !

1001bd : Comment avez-vous rencontré Tarek?

- Ce n'est pas un mystère..., notre première rencontre s'est très mal passée, il était venu me présenter un projet que je ne trouvais pas abouti, le ton a très vite monté ! On s'était quittés, pas vraiment amis... Or, Tarek ne s'est pas découragé, un an plus tard il m'envoie par mail son récit d'espionnage « Sir Arthur Benton » avec les premières planches de Perger... Comme pour Croci, c'était exactement ce que je voulais publier. Je lui ai répondu immédiatement que j'étais partant. Pour le convaincre, je lui ai expliqué pourquoi je pensais être l'éditeur de ce genre de série : d'une part j'avais publié « Auschwitz », d'autre part j'étais historien de formation. Ce dernier détail est très important, car il faut sur un sujet historique vérifier les sources, accompagner les auteurs dans une époque et leur proposer un écrin qui correspond à ce qu'ils veulent dire.

1001bd : On le voit beaucoup "à l'affiche". Comment fait il ?

- Il faut lui poser la question à lui ! Je pense surtout que c'est un vrai bosseur, ils aiment lire, se documenter, écrire. J'aime beaucoup sa capacité dans la bande dessinée de pouvoir écrire à la fois pour la jeunesse et pour la BD ado-adulte. C'est vraiment une qualité rare. C'est pourquoi j'accepte ces nombreux projets.

1001bd : A t il été difficile de dire oui a une oeuvre graphiquement différentes (mais magnifique au final) et au scénario un peu dure sur une période difficile de notre histoire?

- Non, j'ai expliqué, ça été un véritable coup de coeur parce que l'idée était très bonne : celle de montrer comment se déroule l'espionnage en coulisse, et non pas son côté grand guignolesque. Et croyez-moi quand vous recevez sur votre bureau une planche originale de Perger : quel émotion graphique ! Son talent saute aux yeux, c'est pourquoi je vous invite à voir ses originaux. On a hélas une grande perdition à l'imprimerie même si je fais tout mon possible pour être le plus fidèle à sa palette.

1001bd : Cet album a t il été un déclencheur pour votre production?

- Non, ce n'est pas parce que Benton a marché que je vais chercher à en faire des clones. Éditorialement, il est clair que la collection Trilogies est « marquée » par ce cycle, elle va devoir s'adapter en s'orientant vers des projets plus exigeants et qualitatifs, mais c'est aussi l'évolution normale d'une maison d'édition après six ans d'existence.

1001bd : Dans le même genre, « Amerikkka » de Otero et Martin est aussi engagé. Cet engagement est aussi une volonté éditorial ?

- C'est un engagement artistique qui a pour une ambition de ne pas publier n'importe quoi.
Comme je vous l'ai expliqué, je ne vois pas pourquoi la bande dessinée ne pourrait pas proposer des choses intelligentes à lire et à regarder ! tout en lançant des pistes de réflexion à ses lecteurs. Voilà où se situe notre engagement : éditer une bande dessinée qui distrait autant qu'elle interpelle le lecteur, il y a rien de pire que l'indifférence et les oeuvres sans âmes. Plutôt que d'engagement au sens « politique » du terme, je pense qu'il est plus juste de parler d'éthique. Quand Roger Martin écrit la série « Amerikkka », il n'y a rien de gratuit, il nous prévient des méfaits d'une organisation fasciste qui a pignon sur rue aux US, la première démocratie du monde, après on ne pourra pas dire que l'on ne savait pas... En dénonçant le racisme, l'antisémitisme, toutes sortes d'inégalités, hé bien il nous sensibilise aussi sur notre quotidien. C'est pourquoi je parle d'album éthique.


1001bd : Ces albums tranchent d'ailleurs avec tous les magnifiques albums de la collection Jeunesse. Pourquoi partir dès le débuts sur "deux tableaux de chasse" ?

- C'est un défaut et une qualité. Pourquoi se priver de faire ce que l'on aime : de l'édition en BD jeunesse et adulte ? J'ai les auteurs pour et l'envie est commune. Pour l'instant, ça nous réussie pas trop mal. De toute façon, je n'aime pas m'enfermer dans un genre : ni cases ni oeillères !, cette maison existe pour surprendre, rechercher de nouvelles pistes éditoriales. À la base, je suis journaliste pas éditeur. C'est sans doute pour cela, un reporter a toujours envie de faire partager de nouvelles choses. Mais je tiens à vous signaler que le catalogue est quand même organisé en concepts de collections très précis qui permettent justement d'être généraliste. Sur le long terme, je sais que cet effort paiera, pour l'instant, la maison est en construction, elle a ses fondations maintenant on va construire la suite.

1001bd : Vos BD jeunesses ne "surfent" pas sur la vague des titeuf et autre kid paddle et ont souvent une double lecture. Ne pensez vous pas que certaines sont plus lues par les parents que par les enfants?

- Non, j'en ai la preuve tous les jours, les auteurs de ces albums jeunesse font de nombreuses interventions dans le milieu scolaire. C'est bien les enfants qui les lisent. Le but d'un album jeunesse est d'organiser une rencontre voire une passerelle entre les enfants et les adultes, c'est pourquoi il y a deux niveaux de lecture.


1001bd :
Vous l'aurez sûrement compris, une de mes questions récurrentes est : Donnez vous libre court à l'imagination de vos auteurs et si oui pourquoi ?

- à partir du moment où j'accepte un projet, je laisse l'auteur libre. Toutefois, je suis pas un éditeur photocopieur, tous le savent. Je suis là pour faire mon travail d'éditeur, c'est à dire que j'accompagne le projet, mais il n'y a pas de généralités, certains auteurs n'ont pas besoin de conseils et se gèrent seuls, d'autres au contraire ont grandement besoin d'un regard extérieur et d'une direction littéraire et artistique pour les accompagner dans leur création.

1001bd : J'ai eu le plaisir de rencontrer Tarek, Moriniere, Otéro, Pompetti et Batist aux 5 jours de la BD de Grenoble. La rencontre fut plus qu'agréable, très marrante et aussi instructive. Mais la moyenne d'age était jeune. Une jeune maison d'édition rime-t-elle forcement avec jeunes auteurs?

- Je vous répondrais que « la valeur n'attend pas le nombre des années ». J'ai également des auteurs expérimentés comme Béja et Nataël (Fantic), Swyssen (à paraître :les rééditions de Rouletabille fin août) ; Tarek et Morinière sont-ils des jeunes auteurs ? Sûrement pas, il sont passés par Pointe Noire, Soleil, ont eu des succès bien avant de venir chez Emmanuel Proust éditions ; Pompetti a publié deux albums chez Glénat avant Raspoutine ; Otéro entame actuellement son 9e album (Bonecreeek 2)... Ce catalogue n'est pas une usine à dessinateur, nous ne sommes pas très nombreux, une centaine, et sur la centaine, il y a un bon mixe entre auteurs d'expérience et débutants. Je dois reconnaître aussi que c'est un choix de politique éditoriale, cette maison d'édition n'a que six ans et souhaite grandir avec les auteurs avec qui elle a commencé, ce qui ne l'empêchera pas dans les années qui viennent d'éditer des auteurs plus confirmés. À condition que ceux-ci souhaitent adhérer à notre état d'esprit qui est plus éthique que marketing.

1001bd : Pour revenir sur les éditions Emmanuel Proust en général, au jour d'aujourd'hui, pensez vous vous être vraiment implanté dans le monde de la BD ?

- Il reste beaucoup à faire en France dû à la multiplication des maisons d'édition et à la surproduction des majors. Il est clair que devons augmenter notre visibilité en librairie et sur le web. Nous allons y travailler avec notre partenaire MK2 qui va nous apporter son expertise et ses compétences. En ce qui concerne l'international, il semble que nous soyons un cas à part : nous n'achetons pas de droits mais en vendons. Certain de nos albums sont traduits dans une dizaine de pays alors qu'il est admis qu'un titre Made in France en général ne dépasse pas trois langues.

1001bd : La séparation récente avec "la Martiniere" est il une conséquence du succès?

- Plutôt voeux commun entre deux partenaires de se séparer au bon moment. Pour le groupe la Martinière le futur de cette maison d'édition représentait un trop lourd investissement, quant à moi, je pense qu'il n'était plus possible de grandir sans acquérir son autonomie. Ce qui est fait aujourd'hui. La Martinière a très bien joué son rôle d'investisseur de départ et a permis que je reprenne mon indépendance pour développer des synergies avec MK2 qui est à la fois un actionnaire de poids et de prestige pour le futur de la maison d'édition.

1001bd : Pour finir, quelques indiscrétion sur les nouveautés à venir?

- Un nouveau challenge nous attend avec la collection AtmosphèreSport. Son contenu me semble original : il s'agit de one shot qui ont pour décor le sport mais qui ont pour thématique la quête initiatique chez les adolescents. Dans « Match décisif » un père veut obliger son fils à devenir footballeur... tandis que dans « Le Marathon de Safia », une jeune fille d'origine algérienne rêve de devenir championne mais son père s'y oppose. Pour réaliser chaque album, les auteurs se sont documentés à la source : auprès des sportifs et des spécialistes, si bien que ces fictions documentaires seront, je l'espère, autant facile à lire que crédible.

Merci pour avoir répondu à ces question et encore félicitation pour la qualité présentée jusqu'à présent et comme on dit "Que cela dure !"

Poseidon2
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